
IA et transhumanisme: la vie éternelle comme projet technologique!
- 03 September 2019
- by: FX DJIMGOU
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D’aucun pourrait se demander quel serait l’intérêt de proposer un modèle alternatif de développement de la science informatique et des technologies numériques en Afrique, ce qui me paraît légitime comme questionnement. Si on peut fondamentalement considérer les sciences et technologies comme étant “ille ipsa” (par elles même) neutre et universelle, le choix des domaines d’application et l’usage pratique sont très souvent imprégnés d’idéologie au service d’un modèle de société spécifique.
Dans la vidéo du 20 mai 2019 en prélude à sa conférence de Hambourg sur l’orientation technologique de l’Afrique, le Sech Rekhmire COOVI GOMEZ dans son exposé des motifs nous édifie et nous éclaire sur ce point. Il indique précisément qu’il existe historiquement deux grands paradigmes qui orientent l’usage des technologies: le paradigme Africain, déjà présent dans la civilisation Égypto-nubienne. Pour nos ancêtres, la technologie servait à transformer la nature sans la détruire, ce qui permettait à l’homme Africain de rester en harmonie avec lui même, en harmonie et en symbiose avec toutes les forces de la nature (cosmiques, telluriques). C’est ce qu’il a appelé la perspective symbiotique (l’homme en symbiose avec la nature, ses forces et ses énergies). Puis suite au contact avec d’autres civilisations qui au fil du temps ont adopté et dénaturé la tradition Africaine, est née un autre paradigme qui commence avec la civilisation gréco-romaine. Pour eux, la technologie devait servir à maîtriser, dominer, exploiter la nature pour en avoir le contrôle et en tirer des bénéfices [matériels] immédiats, quitte à la détruire. C’est ce qu’il a appelé la perspective prométhéenne au sens du personnage de “Prométhée” dans la mythologie grecque, Titan qui se considérait comme égale aux Dieux au prétexte de maîtriser les mêmes connaissances qu’eux. Cette approche a débouché sur la logique cartésienne et donc capitaliste qui a fini par dominer l’organisation socio-économique du monde, même si aujourd’hui tout le monde peut en constater les limites (accroissement des inégalités, dérèglement climatique, etc.).
L’exemple Américain
Prenons les technologies d’intelligence artificielle par exemple; au regard des multiples possibilités d’usage qu’elles offrent, certains penseurs aux USA en conçoivent plusieurs pour porter leur vision de l’évolution de l’humanité. Avec les “téléphones intelligents” et les “robots assistants” qui meublent désormais notre quotidien, nous sommes déjà ce que les spécialistes appellent les “humains augmentés”. Car grâce à ces équipements plein de fonctionnalités et constamment connecté sur internet, nous avons accès à un savoir illimité à porté de main et en quelques secondes. Mais l’objectif visé ici est le “transhumanisme”, ce courant de pensées qui s’attaque frontalement à deux importants mythes de l’être humain: le vieillissement et l’immortalité.
L’idée derrière le “trans-humainisme” est d’utiliser toutes ces technologies pour combattre le vieillissement, allonger l’espérance de vie au maximum (avec des objectifs de 500 à 1000 ans), modifier les gênes avant la naissance pour éliminer les maladies héréditaires et augmenter le quotient intellectuel, insérer les puces dans le cerveau pour connecter l’homme au réseau, etc. Il faut à tout prix défier la biologie et la physiologie pour créer un “post-humain”: l’humain 2.0! Un célèbre chirurgien et auteur français du nom de Laurent Alexandre a même écrit (entre autres) un livre intitulé “La mort de la mort”, dont le titre seul est suffisamment révélateur. D’après lui, « L’homme qui vivra 1000 ans est déjà né »!
Je vous confirme qu’il ne s’agit pas de la science fiction… La vie éternelle est devenu un vrai projet technologique. Le problème est qu’il ne s’agit pas là juste du fantasme d’un groupuscule idéologues américains un peu illuminés qui n’aurait aucune influence sur la vie réelle des gens à grande échelle. C’est du sérieux! Les GAFA, ces géants du numérique aujourd’hui plus puissant et plus influent que beaucoup de grand pays dans le monde (pèsent à eux seul environ 1000 milliards de dollars), affichent et assument clairement que cette vision guide et inspire leurs choix de développement technologique; notamment en matière d’intelligence artificielle et de NBIC (Nanotechnologies, Biogénétique, sciences de l’Information et sciences Cognitives). Ray Kurzweil, l’un des plus célèbres théoriciens de ce courant de pensées, nous prédit même (de façon un peut arbitraire…) le dépassement inéluctable de l’intelligence humaine par celle de la machine d’ici 2045. Les cofondateurs de Google ( Larry Page et Sergey Brin ) qui investissent massivement dans cette ambition, ont d’ailleurs recruté ce Ray Kurzweil comme directeur de l’ingénierie de Google Xlab (division de l’entreprise en charge de matérialiser ces idées).
Dans son livre “ Google God : Big Brother n’existe pas, il est partout” paru en 2011, l’auteur français Ariel Kyrou faisait déjà la remarque suivante: « Google n’est pas un dieu créateur, c’est un dieu spinozien en ce sens qu’il est le relais, ou du moins qu’il se veut le relais d’une nouvelle nature qui est celle d’Internet. » Je remarque donc avec vous ici que google se considère comme un Dieu… Facebook aussi n’est pas en reste avec son PDG Mark Zuckerberg. A la conférence annuelle des développeurs de Facebook en 2017, il annonçait déjà le financement des projets de recherche à long terme avec pour ambition de “matérialiser la télépathie”, en rendant possible la communication directe entre le cerveau humain et l’ordinateur, et éventuellement la communication direct entre cerveaux.
Si en Chine et en Europe on ne partage pas exactement cette même vision, reste qu’ils ont leur propre projets d’intelligence artificielle et de NBIC tout aussi ambitieux, dont plusieurs objectifs se recoupent avec certains traits de l’humain 2.0 évoqué supra (notamment dans le domaine de la technomédecine). Lors d’un entretien, Laurent Alexandre va jusqu’à dire que « La médecine ne soignera plus, mais transformera nos capacités biologiques, physiques, intellectuelles grâce notamment à des puces implantées dans le cerveau, des implants miniaturisés, des connexions personne-machine. »
Avenir de l’intelligence artificielle en Afrique
En Afrique, si le développement des technologies relatives à l’intelligence artificielle et aux NBIC (Nanotechnologies, Biogénétique, sciences de l’Information et sciences Cognitives) sont encore à leur balbutiement, on remarque quand même un engouement certain dans les pays tels que le Nigéria, l’Afrique du sud, le Rwanda, etc. pour accélérer les choses. Le problème est que, comme souvent, nous allons copier et importer les modèles qui fonctionne ailleurs dans les pays dit “avancés”, mais imprégnés d’une vision du monde qui n’est pas forcément la nôtre. Pire encore, ce sont ces mêmes multinational (IBM, Google, Microsoft) qui sous prétexte d’aide au développement, étendent leur influence en venant créer sur le continent des laboratoires, des data centers, des programmes de formations, et toute autre chose leur permettant de véhiculer subtilement leur idéologie.
J’attire donc l’attention de tous les acteurs Africains concernés par ces technologies, afin qu’ils prennent le temps et le recul nécessaire pour “penser” un modèle propre nous permettant de bien domestiquer ces technologies en orientant aussi prudemment que possible leur application. Théoriquement, on peut imaginer un modèle autoréférentiel globale de développement des STIC en Afrique qui s’appuierait à la fois sur une idéologie commune (la renaissance Africaine par exemple), sur nos usages sociaux (l’utilisation effective de la technologie pour résoudre un problème concret de société), et qui soit conforme à la vision Africaine du monde (vraisemblablement la Maât). Pour nous, la technologie n’est pas un moyen de défier la nature et ses lois, mais plutôt de nous permettre de mieux vivre en conformité avec elles. Le MBOMBOG MBOG BASSONG dans son ouvrage « SOCIOLOGIE AFRICAINE : Paradigme, Valeur et Communication », confirme cette thèse quand il dit :
« Pour l’Africain, la vie est pensée comme une allégorie du pouvoir d’existence avant la volonté de puissance. Il ne s’agit pas de dominer ou d’assujettir la nature, les êtres, les choses et les hommes, mais d’en faire une réserve toujours plus importante de matière, d’énergie et d’information (développement durable) afin que les groupes sociaux en présence s’assurent une sorte d’extension de soi sans laquelle eux-mêmes ne seront plus. »
La vie éternel ne saurait donc être un “projet technologique” pour l’Africain qui respecte sa culture et sa tradition. Au contraire, nous pouvons construire notre propre modèle de modernité technologique dans une perspective symbiotique (au sens du Sech Rekhmire COOVI) en se réapproprient les ressorts de notre historicité.